La Poésie des Muses

A une passante: réponses à Baudelaire

A une passante

Réponses à Baudelaire

 

De Baudelaire à Malvina Blanchecotte

en passant par Gello et Alice Bataille

 

 

Baudelaire: à une passante 

 

La rue assourdissante autour de moi hurlait

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

Une femme passa, d'une main fastueuse

Soulevant, balançant le feston et l'ourlet;

 

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

 

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté

Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

 

Les Fleurs du Mal (1857)

 

 


Malvina Blanchecotte : Elle

 

 Sous son vêtement noir, linceul anticipé,
Elle passait, le front penché, la marche lente;
Tu la vis: ton regard craintif, préoccupé,
Suivit sans l'arrêter l'ombre pâle et tremblante.

Au milieu de la foule elle te pressentit;
Elle se retourna d'elle-même, ébranlée;
C'était toi, c'était toi! D'instinct son coeur battit,
Et l'amertume emplit sa paupière gonflée.

Que t'a dit son regard, alors fixe et muet?
As-tu bien constaté cet infini ravage?
As-tu sondé l'angoisse en cet oeil inquiet?
Ce brisement d'un coeur aimé, c'est ton ouvrage.

La vision tremblante a disparu. - Tous deux
Vous avez poursuivi votre route opposée;
Sous l'éblouissement elle a fermé les yeux.

 

Nouvelles Poésies (1856)

 


 

 Gello (poétesse des années 1920)

 Sonnet à l'inconnue

 

Charme de l'inconnue qu'on ne voit qu'une fois,

O reflet de notre âme et de notre génie,

Toi que je ne verrai plus jamais de ma vie

Et que j'ai rencontrée dans un jardin bourgeois!

 

Je vis passer l'éclair de mes propres effrois

Dans les yeux ombragés de fière nostalgie,

Je connus sur ton front la virile énergie

Qui cache la douleur des âmes aux abois.

 

Mais tu ne me vis point et tes regards stupides

S'attachaient sans la voir à la foule des yeux vides.

Tu n'étais pourtant pas seule car des parents

 

Près de toi déroulaient leur verbe dérisoire

Que tu n'entendais pas; dans mes songes ardents,

Inconnue! tu viendras flotter sur ma mémoire.

 

Harmonies et Poèmes (1926)

 

 

 

Alice Bataille

 

A un passant

 

Tu passes, nos regards se croisent, et je t'aime.

Je sens qu'une rougeur vient d'empourpre mon front,

Qu'une angoisse m'étreint, que mes espoirs fuiront

Comme vole au printemps le grains que le vent sème.

 

Si je croyais ce soir, demain je douterais,

Car la vie a laissé dans mon âme des traces

Que rien ne lavera, ni tes élans vivaces,

Ni ton naïf amour dont hélas! je rirais.

 

Te voilà cependant, toi qui hantais mon rêve,

Qui traversais mes nuits lorsque j'avais quinze ans!

O toi que j'ai cherché partout depuis longtemps

Je t'attendais alors que fuyait l'heure brêve!

 

Tu m'arrives trop tard, et j'en pleure. Demain

Tu m'auras oubliée au détour de la route,

Et je n'ai pas la force, avec mon coeur qui doute,

De vouloir t'arrêter...

                                Va, passe ton chemin! 




25/04/2012
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