La Poésie des Muses

Mère et fille 02

Mère et fille 02

 

 

   On observe dans la “littérature féminine”, et particulièrement dans le domaine de la poésie, des phénomènes de solidarité voire de complicité entre femmes visant à faire face aux vicissitudes de la vie, et peut-être à “La domination masculine” (Bourdieu). Parmi les diverses stratégies observées, il y a les “couples” mère-fille  illustrés par quelques grands noms dont il faut écouter le témoignage.

 

Madeleine des Roches (1520-1587)

et Catherine des Roches, sa fille (1542-1587) 

 

   Concernant les "Dames de Poitiers", comme on les appelle,  leur solidarité n’est pas seulement affective, elle est également littéraire et la ressemblance physique soulignée par la mère ne fait que renforcer la communauté de destin qui les unit. Elle mourront d’ailleurs le même jour, lors de la peste Poitiers en 1587. “Je vous suis partout comme l’ombre le corps” écrit Catherine à sa mère. 

 

 

Madeleine Desroches:

Epître à ma fille

 

 Ma fille unique, et de moi chère tenue,

Non pour autant que tu en es venue

Et que dans toi je me vois un portrait

Du poil, du teint, de la taille, et du trait,

Façon, maintien, parole, contenance,

Et l’âge seul en fait la différence:

Ni pour nous voir tant semblables de corps, 

Ni des esprits les gracieux accords,

Ni cette douce aimable sympathie,

Qui fait aimer la semblable partie,

N’ont point du tout causé l’entier effet

De mon amour envers toi si parfait…

Mais le penser, qu’entre tant de malheurs,

De maux, d’ennuis, de peines, de douleurs,

Sujetion, tourment, travail, tristesse,

Qui (de)puis treize ans ne m’ont point donné cesse,

Tu as, enfant, apporté un coeur fort,

Pour résister au violent effort

Qui m’accablait, et m’offrit dès enfance

Amour, conseil, support, obéissance.

Le tout puissant à qui j’eus mon seul secours,

A fait de toi naître mon seul secours:

Or je ne puis de plus grands bénéfices

Récompenser tes louables offices,

Que te prier de faire ton devoir

Envers la Muse et le divin savoir.

....

 

 Catherine Desroches:

Epître à ma mère

 

Ma mère, vous m’avez aimée comme Prométhée l’image de la terre, que lui-même forma, et n’est point d’un feu dérobé: car il vous fut donné des Cieux. Or connaissant que je tiens de vous, non seulement cette mortelle vie, mais encore la vie de ma vie, je vous suis partout comme l’ombre le corps: et tout ainsi que le corps en ses proportions, ni l’ombre en son étendue ne sont point vus sans la faveur de la lumière…

 

 A ma mère (1633, Vol 2 p. 164)

Début du poème intitulé “La femme forte décrite par Salomon”.

 

 

Je vous fais un présent de la vertu suprême,

Dépeinte proprement par un Roi très parfait,

(Ma mère) et vous offrant cet excellent portrait,

C’est vous offrir aussi le portrait de vous-même.

 

Référence:

les secondes oeuvres de Mesdames des Roches de Poitiers, 1583

 


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 Antoinette Deshoulières (1634-1694)

et Antoinette-Thérèse Deshoulières, sa fille (1663-1718)

 

 

   Antoinette Deshoulières dut sa célébrité à ses  Idylles, des Moutons, des Fleurs, des Oiseaux…, à ses rondeaux, ses madrigaux, ses ballades… Comme en témoigne la caricature de Phèdre de Racine (1),  il y a aussi chez elle une veine comique et satirique. Or sa survie littéraire doit beaucoup à sa fille. Comme dans le cas des Dames des Roches, leurs oeuvres sont publiées conjointement, c’est d’ailleurs ici une exigence de la mère. Mais celle-ci, se soucie peu de passer à la postérité.. “Ce soin m’était réservé” indique Antoinette-Thérèse qui mourut d’ailleurs comme sa mère d’un cancer du sein. L’”Eloge historique” qui précède le recueil de poèmes suggère qu’il s’agit là d’un signe de plus de la “conformité” de la fille à la mère: “Elle fut attaquée de très bonne heure du même mal qui avait fait périr sa mère. Il lui manquait encore cette conformité. Après vingt ans de souffrances et de douleurs, elle meurt à Paris le 8 août 1718, âgée de 56 ans… “

 

 

Antoinette-Thérèse parlant de sa mère

 Extraits de la Préface du recueil commun

 

   Elle travaillait si peu dans la vue de faire passer son nom à la postérité, que, quand elle avait fait quelques ouvrages, soit pour célébrer les glorieuses conquêtes de Louis-le-Grand,soit simplement pour s’amuser, elle ne pensait qu’à les finir avec la perfection qu’elle nous les a laissées, sans songer à les conserver.

   Ce soin m’était réservé; et je m’en acquitte avec toute l’exactitude et toute la douleur que produit une pareille occupation...

 

  On s’étonnera peut-être que j’ose mettre le peu d’ouvrages que j’ai faits à la suite de ceux de ma mère. J’en connais toute la différence; mais quand je joins mes vers aux siens, je ne fais que suivre son intention: heureuse de leur procurer par là le seul moyen qu’ils ont de passait à la postérité!...


Stances irrégulières

sur la mort

de madame Deshoulières, 1694

(par sa fille Antoinette Thérèse)

 

Ici, Muses, ici que venez-vous chercher?

Sous ces sombres cyprès, hélas! qui vous appelle?

Vous n’y trouverez point cette illustre mortelle

Dont les doctes chansons avaient su vous toucher:

La déesse sourde et cruelle

De mes bras vient de l’arracher.

 

En vain, pour garantir une tête si chère,

J’ai mille fois du ciel imploré le secours:

Au précieux devoir de sauver ma mère

J’ai sacrifié mes beaux jours.

Mais le cruel destin, qui m’accable toujours,

Des larmes que produit une douleur amère

Redouble sans cesse le cours.

 

Le ciel à mes ennuis n’a point marqué de terme,

Et du plus faible espoir j’ignore les douceurs.

Sans cesse en proie à de vives douleurs,

J’appelle à mon secours cette âme grande et ferme,

Et qui d’un oeil égal au milieu de mes pleurs

Envisagea la mort sans craindre ses horreus.

Mais que me sert, hélas! de l’invoquer sans cesse,

De me représenter ce qu’elle a combattu,

Et dans tous ces malheurs quelle fut la sagesse?

Je m’abandonne à ma faiblesse,

Et je n’ai rien de sa vertu.

 

Muses, ne cherchez plus cet esprit admirable,

L’honneur de notre siècle et du sacré vallon.

De cette perte irréparable

Chargez les fastes d’Apollon,

Allez aux bords de l’Hippocrène

Par des torrents de pleurs célébrer son trépas;

Et si ma douleur vous ramène,

Respectez mes soupirs, ne me consolez pas.

 

 Adieu aux Muses, 1717 p. 268 (archive)

 

La fille de Mme Deshoulières souffrait du même mal que sa mère: un cancer du sein qui la fit beaucoup souffrir, ce dont témoignent les vers qui suivent, datés de 1717, soit un an avant son décès.

 

Allez, Muses, éloignez-vous.

Mon coeur frémit à vous le dire;

Mais quand votre beau feu m'inspire,

Un monstre dévorant, enflammé de courroux,

Qui sans relâche me déchire,

Un cruel monstre à qui je ne saurais suffire,

Redouble sur mon sein les plus funestes coups.

 

L'orgueilleux me punit de cet honneur suprême

Où vous m'élevez quelquefois;

Et sans les grands efforts que fait Apollon même

Pour me sauver de sa fureur extrême,

Ce terrible ennemi m'eût réduite aux abois.

 

Depuis le moment qu'il m'opprime,

Quel affreux avenir, hélas! m'a-t-il fait voir!

Sans appui, sans secours, et presque au désespoir,

J'étais sans cesse sa victime,

Et mes moindres frayeurs redoublaient son pouvoir.

 

Mais enfin la raison, cette fière maîtresse

Et de nos sens et de nos coeurs,

Au milieu même un jour de mes vives douleurs

Me fit rougir de ma faiblesse,

Et me délivra des horreurs

Que ce monstre à mes yeux représentait sans cesse.

 

Malgré ces soins encore, avec avidité

Le cruel cherche à faire au destin irrité

De mon coeur malheureux un pompeux sacrifice.

Mais à ce coeur, soutenu de l'immense bonté,

Se repose sur sa justice,

Et voit ce monstre affreux avec tranquillité.

 

 

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Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

Ondine Valmore (1821-1853)

 

   L'oeuvre ébauchée par Ondine, loin d’être comparable à celle de sa mère, n’est cependant pas insignifiante.  Entre la mère et la fille, il y a donc bien une forme de transmission poétique. Mais la relation est loin d’être fusionnelle comme dans les deux cas précédents. Les “Cahiers de Ondine de Valmore” publiés en 1932 par Albert Caplain ont permis de corriger l’image austère et déroutante et peu “féminine”  que sa mère donne d’elle à diverses reprises.

 

 

Marceline Desbordes-Valmore parlant de sa fille:

(extrait de la préface d’Albert Caplain)

 

“Quel démon que cette enfant. Elle me fait tourner dans un cercle de fer”.


“Il y a dix hommes dans cette tête et pas une jupe de femme… L’aiguille n’a rien à faire avec ce petit Cosaque… Elle est toujours charmante, toujours analytique, appuyée, grave et fine ensemble et caressante par éclair; mais de la jeune fille guère et le moins qu’elle peut. Ah! si elle l’était, elle serait trop irrésistible et séduisante”.


“Je n’ai pas encore la conviction douloureuse qu’elle ait de l’éloignement ou de la froideur pour nous”.


 Ondine Valmore évoquant sa mère

 

   Il y a deux Ondine Valmore. D'abord, l'inspectrice des institutions de demoiselles du département de la Seine. Albert Caplain précise qu'elle remplit cette fonction avec le plus grand zèle: "en un an, elle a fait 123 visites dans les 53 maisons confiées à son inspection"... et puis la poétesse qui laisse une oeuvre inachevée. Dans les 2 poèmes qui suivent, il est étrange de voir la jeune fille tenter de rasséréner  sa mère.

 

Vingt ans

(2 novembre 1842)

 

Vingt ans! Quoi! J'ai vingt ans, ma mère, et les journées

Ont apporté cette heure en jouant avec moi.

Quoi! de si courts instants ont formé vingt années!

L'adolescence ainsi courut-elle pour toi?

 

Comme au bruit d'une étrange et charmante nouvelle,

J'ai frémi ce matin en saluant ce jour,

Ce jour, tout revêtu de grâce solennelle,

Pour m'annoncer vingt ans me réveille à mon tour.

 

Mais, toi, dis, quel penser dans ton coeur vient de naître?

La surprise et l'effroi t'ont fait chercher les cieux.

Tu tendais les bras. Soudain, j'ai vu paraître

Un sourire à ta lèvre, une larme à tes yeux.

 

La nouvelle t'effraie, ô mère ardente et sage;

Tu lis dans l'avenir et ton coeur m'y défend.

Oui! l'avenir est près; mais qu'importe? à tout âge,

Serai-je pas toujours ta vie et ton enfant?

 

Ne crains pas! J'ai vingt ans; tout s'éveille en mon âme.

Je n'ai pas peur de vivre et ne recule pas.

Dans mon coeur qui bat vite entre une sainte flamme;

Une route sans fin s'ouvre devant mes pas.

 

Ne crains pas à me voir commencer le voyage,

Légère de trésors pour payer le bonheur.

Il viendra sans compter, le vivant héritage

M'a mis l'espoir dans l'âme et l'amour dans le coeur.

 

J'ai vingt ans! à vos pieds je me mets tout entière,

Dieu, père de ma mère et qui l'aimez en moi!

J'ai vingt ans! Dans tes bras presse-moi la première,

Mère! mon âme est tienne et s'en retourne à toi.

 

...

 

Mère

(3 novembre 1852)

 

C'est l'hiver et le noir décembre

Gémit dans le bois attristé;

A la fenêtre de ta chambre

Pend un vieux pampre dévasté;

La bise qui gronde à ta porte

Siffle autour de ton front charmant;

Sans songer aux fleurs qu'elle emporte si gaîment?

 

Oh! dit-elle en levant la tête,

Que me fait le temps triste ou beau!

Tous mes jours sont des jours de fête,

J'ai dans le coeur un chant d'oiseau.

 

Mais du sein de la terre ouverte

S'élèvent les blondes moissons;

Vois la feuille odorante et verte

Habiller rochers et maisons:

Quand tout frémit, s'éveille et chante,

Quand ta vitre brille au soleil,

Pöurquoi la gaîté rayonnante

A-t-elle fui ton front vermeil?

 

Oh! dit-elle en baissant la tête,

Que me fait le temps triste ou beau!

Comment saurais-je que c'est fête?

Mon coeur a perdu son oiseau.

 

 Ces 6 noms ne couvrent  sans doute pas l'étendue du phénomène. Il faudrait évoquer Catherine de Parthenay et ses 3 filles,  Anne de Rohan, la plus éminente, mais ses deux autres soeurs étaient également réputées pour leur talent poétique. Plus près de nous, l'oeuvre de Marguerite Fadma Aith Mansour fut prise en charge et "publiée" par sa propre fille, Taos Marguerite Amrouche (1913-1976)...



25/09/2012
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