La Poésie des Muses

Le retour de la mort des dieux (1914, Claude Cahun)

Claude Cahun et le retour de la mort des dieux

 

 

 Claude Cahun: le retour de la mort des dieux

(Poèmes en prose datés de mai 1914)

 

A l'heure où il est de bon ton de parler du "retour du religieux", voici deux poèmes en prose de Claude Cahun, qui décèlent derrière les différences d'époque de profondes similitudes: aujourd'hui, comme au temps des Grecs, mais sous une autre forme , le monde exténué du divin, au terme de ses métamorphoses, laisse après son passage les reliques et les débris de sa propre apothéose.

 

1 - L'église

 

Le Croisic. - L'église est déserte et semble abandonnée. Il fait nuit. Une veilleuse éclaire avec peine le bas des piliers, et ce vitrail brillant où saint Jean baise les mains de son dieu mortel. Sous la lumière, un ex-voto de pierre grise témoigne d'une ferveur disparue depuis longtemps.

   Une religion nouvelle efface la religion qui s'endort, comme l'exige le coeur changeant de l'homme. Le vitrail brille et rappelle des légendes toutes païennes... Le coeur humain est immuable. Les religions nouvelles ne sont que les expressions différentes de sentiments semblables: saint Jean baise ardemment les mains glacées du Christ, Platon pleure en ses vers Dion de Syracuse, et nos matérialistes modernes nous prêchent l'amitié par intérêt.

 

2 - Le Temple

 

Athène. Constantin. - Amoureux des vieilles légendes, je fuis la religion nouvelle; elle envahit même la Grèce.

   Je vais me réfugier dans un temple consacré au divin Platon. Tout désert, il semble abandonné. La nuit tombe. Une veilleuse éclaire avec peine le bas des colonnes, et cette mosaïque dorée que les chrétiens, hélas! ont introduite jusqu'ici... Mais je souris: le Maître ne l'eût pas désavouée; elle orne sa demeure d'une image appropriée à ses plus chères doctrines. Je souris: cette religion si nouvelle ne saurait changer des sentiments immuables au coeur humain: Jean baise ardemment les mains glacées du prophète des Juifs, Platon pleure en ses vers Dion le Syracusain, et nos sceptiques éternels vantent avec Socrate l'intérêt de l'amitié.



23/04/2012
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