"Trouble dans le genre" dans l'Almanach des Muses et...
"Trouble dans le genre"
dans l'Almanach des Muses
Concernant le problème du genre, le 18ème siècle peut revendiquer quelques figures originales, L'Abbé de Choisy qui s'habillait en femme,... Paul Desforges-Maillard, du Croisic, qui finit par adopter dans les années 1830 le pseudonyme de mademoiselle Malcrais de la Vigne pour s'assurer un succès littéraire qui lui échappait jusqu'alors. Le retour à son authentique patronyme le fit à nouveau sombrer dans l'anonymat.
Voici quelques poèmes de femmes qui illustrent à leur manière le fameux "malaise dans le genre".
Madame la comtesse de B ***
A un homme qui aurait voulu être femme, et surtout jolie
On nous offre des voeux trompeurs:
L'abîme est sur notre passage;
Hélas! il est couvert de fleurs,
Et la foudre est dans le nuage.
L'éclat décide un séducteur;
par lui, la plus belle est choisie:
Malheureux, il vous calomnie;
Il est ingrat, s'il est vainqueur.
Almanach des Muses, année 1777, p. 188
Madame la Baronne de Bourdic
A Monsieur d** qui avait pris le nom de Soeur C***,
pour écrire à l'auteur, et daté ses vers du monastère de P**
Vos jolis vers remplis de grâce,
Enchaînent nos esprits avec des noeuds de fleurs;
Votre couvent est le Parnasse:
Vous êtes une des neuf Soeurs.
Je ne me trompe pas... cette histoire est certaine.
Cupidon, amoureux de la vive Erato,
Pour se venger de l'inhumaine,
D'une robe de deuil lui fit un domino;
De son bandeau, ce Dieu lui fit un voile:
L'énigme à mes yeux se dévoile;
Cette robe lugubre où du haut jusqu'en bas
On ne voit aucuns falbalas,
Ressemble au domino dont ce Dieu d'Idalie
De la Muse cruelle affubla les appas.
Tout vous trahit: votre génie,
Votre goût pour les vers, le feu de la saillie,
De votre vêtement, le lugubre contour...
Vous êtes Erato; je ne puis m'y méprendre:
Vous avez son regard, son maintien, son air tendre;
Je vois sur votre front le bandeau de l'amour.
Almanach 1786, p. 38
Madame de la Fer** (Madame de la Ferrandière)
Pour Sophie
Quand je vois cette aimable enfant
Caresser, adorer sa mère,
De cette fille et tendre et chère,
Je voudrais être la maman.
Au récit de quelque malheur
Qui toujours attendrit Sophie,
Elle fait palpiter mon coeur,
Je voudrais être son amie.
Si je peins son minois charmant,
Et son maintien modeste et sage,
Je maudis mon sexe, mon âge,
Et voudrais être son amant.
Almanach des Muses, 1793
Madame d'Hautpoul
Le refus d'un baiser (Romance)
De ce refus pénétrez-vous la cause?
Vous êtes belle et j'ai quatre-vints ans;
Par un baiser je fanerais la rose,
Et ce serait un outrage au printemps.
Je dois laisser à la vive jeunesse
Ces biens si doux, elle a droit d'en jouir;
De vos plaisirs il reste à ma vieillesse,
Moins un regret qu'un heureux souvenir.
Pour un refus, ne croyez pas bergère,
Que l'âge rende un coeur indifférent;
Mais un baiser pourrait-il satisfaire,
Ne causant plus le plaisir que l'on sent?
Je m'en souviens, j'avais une maîtresse,
Belle, modeste, et fraîche comme vous;
Elle eut vos traits, j'avais votre jeunesse,
Et c'est alors que les baisers sont doux.
Par Madame d'Hautpoul, ci-devant Madame de Beaufort
Almanach des Muses 1801, p. 130
Salm-Dick
(Je puis bien être un homme aussi)
A un auteur d'élégies qui blâmait la sévérité de mes épîtres
Tu n'es pas juste, ami, lorsque tu blâmes
Mon vers philosophique et mon ton réfléchi
Qui, dis-tu, ne sied pas aux dames.
Je sais que les transports, les amoureuses flammes,
Les langueurs d'un tendre souci,
Semblent mieux convenir à nos esprits, nos âmes;
Mais, lorsque sur ce point tant d'hommes sont des femmes,
Je puis bien être un homme aussi.
Poésies 1835, p. 240
Madame de Villandon
Mais sachez, illustre Personne,
Que par un sentiment malin
Contre le sexe féminin,
En lisant vos écrits si remplis de justesse
D'agrément, et de politesse
On veut que vous soyez Cavalier ou Blondin.
C'est nous faire un affront étrange.
Fin 17ème