La Poésie des Muses

Le mythe d'Adam et Eve revisité (du 17ème au 19ème)

Le mythe d'Adam et Eve revisité

(17ème, 18ème, 19ème siècle)

 

 

Quand les femmes revisitent le mythe d'Adam et Eve

 

   Quand les femmes revisitent le mythe d'Adam et Eve, cela peut effrayer les exégètes et les théologiens. Les textes de Jacquette Guillaume (17ème) et de Daniel Stern (19ême) proposent des approches bien peu orthodoxes, et susceptibles de mobiliser les femmes dans leur juste combat: car il y a bien un sexe supérieur, mais ce n'est pas forcément celui auquel on pense. Le poème de Bourdic-Viot (fin 18ème) est un divertissement frivole écrit par une femme "un peu folle" qui n'en est pas moins "une femme de bien". (Ces trois textes sont disponibles sur Gallica)

 

1 - Jacquette Guillaume 17ème

 

Les Dames illustres, où par bonnes et fortes raisons il se prouve que le sexe féminin surpasse en toutes sortes de genres le sexe masculin, 1665.

 

    Ouvrage en prose et en vers où l'auteure fait un éloge passionné de la Trinité et développe une défense du sexe féminin jugée outrancière par Fortunée Briquet .

 

    Difficile d'apprécier à sa juste valeur ce livre très étrange (en prose et en vers): les dehors théologiques, moralisateurs de l'oeuvre ("La femme est faite pour l'homme...etc") cachent des propos audacieux au point que Fortunée Briquet juge que son auteure est "une des femmes qui ont porté trop loin l'amour de leur sexe". Le raccourci des arguments devait dérouter les lecteurs de l'époque: ainsi, pour Jacquette Guillaume, si la femme a été créée pour être utile à l'homme, pour l'aider, c'est que ce dernier est un être immature, peu autonome et de toute manière, celui (en réalité, celle) qui aide est forcément supérieur(e) à celui qui est aidé. Ou encore, Dieu a créé le monde en suivant un ordre ascendant qui va du plus grossier (la terre, le, ciel...) vers un sommet de perfection, la femme. L'homme n'est à l'évidence qu'une étape intermédiaire...

 

.

En créant la femme,"Le Créateur voulut se tirer en petit volume..."


    Il est remarqué dans la Genèse que Dieu ayant créé l'homme ne dit rien, mais qu'ayant créé la femme il dit: "Voilà qui est bien", pour nous apprendre que dès le premier moment de sa création elle fut agréable à son Créateur. Ne vous en étonnez pas, ce divin ouvrier la forma pour être les délices mêmes du Paradis terrestre, voulant raccourcir toute l'étendue de ses merveilles dans ce microcosme, et se tirer lui-même en petit volume, après s'être tiré en grand, dans le reste de l'Univers. Il donna à son corps la taille et la beauté, que la flatterie des Poètes attribue aux Déesses; son entendement étant éclairé des plus hautes lumières proposait le vrai bien à la volonté, qui brûlait d'une sainte ardeur de le posséder...

 

Jacquette Guillaume: Les Dames illustres...,1665.



 

2 -

Henriette Bourdic-Viot

(1746-1802)

(Poème publié dans L'Almanach des Muses de l'année, 1786)

 

L'auteure invite son amie à offrir une figue à un Evêque, comme Eve a offert la pomme à Adam. Aucune impudeur à cela, l'argument étant que la feuille même du figuier a été choisie par le Créateur pour couvrir la nudité de nos premiers parents. Mais il ne faut pas oublier les connotations sexuelles du fruit lui-même; les revendications d' innocence et de décence couvrent les allusions érotiques du propos. La poésie du 18ème siècle, et en l'occurence celle de Bourdic-Viot, proche de Voltaire, n'a pas de grandes ambitions:  son impertinence est le plus souvent au service d'un art de vivre en société le plus agréablement possible; pourquoi ne pas l'accepter comme telle?

 

 

Vers à Madame la Baronne d'A**, soeur de l'auteur, en lui envoyant des figues pour M. L'évêque de **, chez lequel ces dames avaient passé quelques jours ensemble.

 

Quand le malin esprit voulut du premier homme

Corrompre le naissant désir,

A la jeune Eve il présenta la pomme;

Elle y mordit et connut le plaisir.

Au bon Adam, Eve, avec énergie,

Parle du fruit qu'elle vient de goûter;

Il m'a donné , lui dit-elle une nouvelle vie.

J'en ai gardé pour toi, je viens te l'apporter.

Adam voulait lui résister.

Il ne le put: femme jeune et jolie

Est toujours sûre de tenter.

 

Je ne veux pas, ma douce et belle amie

Jouer auprès de toi le rôle du serpent:

Oh! quand je le voudrais, le pourrais-je vraiment?

Non! non! mais j'ai la fantaisie

D'emprunter un instant sa main blanche et jolie,

Pour offrir quelques fruits à ce Prélat charmant,

Dont la vertu sans pruderie

Ne s'effarouche pas si l'esprit du moment

Laisse échapper une saillie;

Qui ne veut pas nous damner pour un rien;

Qui fait qu'on peut être un peu folle,

Sans être moins femme de bien;

Et qui trop éclairé pour juger sur parole

De son doux Paradis ne nous chassera pas

Pour des propos badins où règne le délire

Des plaisirs innocents qu'il sème sur nos pas.

Comment peut-on punir, hélas!

Des femmes qui ne font que rire?

Présente-lui sans balancer

Ce fruit dont les feuilles prospères

Servirent jadis à cacher

La honte de nos premiers pères.

Puisque l'arbre qui les produit

Offrit un voile à l'innocence

Il appartient à la décence:

Il doit en recueillir le fruit.

 

Almanach des Muses, 1786


 

 


 

3 -

Daniel Stern

(pseudonyme de Marie d'Agoult, 1805-1876)

Esquisses morales

Pensées, réflexions et maximes (1849)

 

   Pour la romantique Daniel Stern, Eve est l'archétype de toute révolution, mais elle paye sa liberté au prix fort.

 

Eve

    La première de toutes les révolutions dont le genre humain garde la mémoire, cette révolution symbolique et sacrée d'où naît dans la suite des temps tout le progrès de l'homme et des sociétés, nous la voyons apparaître dans les Ecritures sous le nom et sous l'image d'une femme.

    Le Tout-Puissant avait dit au couple humain, faible et ignorant, mais heureux et immortel: "Tu ne mangeras point de l'arbre de la science, ou bien tu mourras."

    L'homme se résigne à cette inactive et insensible félicité; mais la femme, écoutant en elle-même la voix de l'esprit de liberté, accepte le défi. Elle préfère la douleur à l'ignorance, la mort à l'esclavage. A tout péril, elle saisit d'une main hardie le fruit défendu; elle entraîne l'homme avec elle dans sa noble rebellion.

    Le Tout-Puissant les châtie l'un et l'autre, les bannit, les voue à la mort.

    La mère des hommes est condamnée à enfanter dans les larmes. Eve reste à jamais, pour sa triste et fière postérité, la personnification glorieuse et maudite de l'affranchissement du génie humain.

    Cette genèse est l'histoire de toutes les révolutions...

...L'esprit de liberté est immortel, et la Révolution, cette Eve perpétuellement rajeunie, préfère encore à cette heure, comme aux premiers jours du monde, le bannissement, l'anathème, la douleur et la mort, à la paix honteuse de l'ignorance et de l'esclavage.

    Sachons donc chérir et respecter, honorons plus que jamais aujourd'hui l'Eve immortelle, toujours jeune et toujours ardente, qui garde en son coeur les deux plus nobles dons de la vie terrestre: l'inspiration de la liberté et la vertu du sacrifice.

 

Daniel Stern (Comtesse de Flavigny ou Marie d'Agoult) compagne de Franz Liszt de 1835 à 1839: Esquisses morales, 1849. Sur Gallica, l'édition numérisée date de 1880.

 
 



Marie Krysinska (années 1890)

Ève

À Maurice Isabey.

Ève au corps ingénu lasse de jeux charmants
Avec les biches rivales et les doux léopards
Goûte à présent le repos extatique,
Sur la riche brocatelle des mousses.
Autour d'elle, le silence de midi
Exalte la pamoison odorante des calices,
Et le jeune soleil baise les feuillées neuves.
Tout est miraculeux dans ce Jardin de Joie:
Les branchages s'étoilent de fruits symboliques
Rouges comme des cœurs et blancs comme des âmes;
Les Roses d'Amour encore inécloses
Dorment au beau Rosier;
Les Lys premiers nés
Balancent leurs fervents encensoirs
Auprès
Des chères coupes des Iris
Où fermente le vin noir des mélancolies;
Et le Lotus auguste rêve aux règnes futurs.
Mais parmi les ramures,
C'est la joie criante des oiseaux;
Bleus comme les flammes vives du Désir,
Roses comme de chastes Caresses
Ornés d'or clair ainsi que des Poèmes
Et vêtus d'ailes sombres comme les Trahisons.
Ève repose,
Et cependant que ses beaux flancs nus,
Ignorants de leurs prodigieuses destinées,
Dorment paisibles et par leurs grâces émerveillent
La tribu docile des antilopes,
Voici descendre des plus hautes branches
Un merveilleux Serpent à la bouche lascive,
Un merveilleux Serpent qu'attire et tente
La douceur magnétique de ces beaux flancs nus,
Et voici que pareil à un bras amoureux,
Il s'enroule autour
De ces beaux flancs nus
Ignorants de leurs prodigieuses destinées.

Marie Krysinska , Rythmes pittoresques

 

 



Marie Dauguet, 1904

 

Les baisers

 

Le premier baiser

 

A Monsieur Abel Hermant.

 

Le couple s'éloignait, fait d'ombre et de souffrance,

Au fond du ciel durci et comme dévasté

Profilant sa fragile et mince nudité,

En marche vers la mort et la misère immense,

 

Mais enfin libéré de sa morne innocence.

Comme on porte un enfant, vers son coeur révolté

Adam soulevait Eve et la berçait. L'été

Répandait autour d'eux sa torpide fragrance.

 

Dans l'âpreté du sol, au fouillis des ronciers,

Des pervenches s'ouvraient qu'ensanglantaient leurs pieds,

La couche s'étalait des rugueuses mélisses,

 

Et c'est alors que fut ardemment échangé,

Pour la première fois en de lentes délices,

Le baiser de la chair et qui fut un péché.

 

Par l'Amour, 1904


 


 

Claude Cahun,

 Héroïnes, 1925

 

 Le Mercure de France du 1er février 1925

 

Eve la trop crédule 

 

 

 

Il faut éviter les drogues de toute sorte, spécialement celles recommandées dans les journaux comme guérissant toutes les maladies.

 

   Onzième commandement.

 

(Paru lui-même dans une notice recommandant un certain médicament - pour lequel on craignait la concurrence, il faut croire.)

 

 

 

Aux "Evettes", petitescorrespondantes du journal Eve - et en général à toutes les jeunes filles, passées, présente et à venir.

 

 

 

 

 

OCCASION UNIQUE;. Voulez-vous devenir plus forts, réussir dans toutes vos entreprises: Aussitôt que vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux seront ouverts, et vous serez TELS QUE DES DIEUX en connaissant le bien et le mal (1). Demandez le fruit savoureux. Il n'en reste plus qu'un SEUL. Demandez-le sans retard! Que risquez-vous? Vous serez satisfaits, ou votre chèque sera remboursé.

 

   "Des serpents aux anneaux lumineux forment des lettres souples, puis d'autres lettres pour les annonces successives.

 

   "J'aime à passer la soirée à l'ombre parfumée des arbres (sont-ils pas généreux? le parfum est gratuit); à guetter la métamorphose de ces promesses merveilleuses. - C'est une distraction, et notre jardin n'en a guère. Ah! si seulement Adam me donnait plus d'argent de poche!

 

   "Voyons, les serpents s'agitent..."

 

 

 

LONELY men, I have a sweetheart for YOU (2)

 

 

A suivre .......................................................A suivre




23/04/2012
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